• L'Épopée de Galadrid le Ruln - Chapitre deux

    II.

     

     

    Les briques assemblées les unes sur les autres formaient un interminable tunnel en arc. Il était haut et vide, son fond imperceptible dans les ténèbres. Galadrid s’avançait à l’intérieur, tâtant la pierre froide du bout des doigts. Ses pieds nus et rouges rampaient sur le sol, et la chaîne corrodée qui les liaient frottait le plancher rocailleux à chacun de ses pas. Les anneaux se frappaient parfois à de petites pierres qui firent éveiller des échos qui se perdaient lentement dans l’obscurité. C’était l’unique bruit que l’on pouvait discerner dans ce néant, comme une voix qui lui indiquait le chemin à suivre. Il n’y avait aucune odeur ou temp érature, l’endroit était mort, dépourvu de vie.

    Soudain, tandis qu’il se relevait une d’une nouvelle chute, Galadrid sentit qu’on avançait rapidement vers lui. Des bruits retentissaient de l’extrémité nord de la voie, droit devant lui. Pris de panique, il tenta de rebrousser chemin malgré les liens d’acier qui le faisaient vaciller contre les murs. Il avait maintenant des éraflures partout sur les genoux et le visage, lui brûlant la peau comme du fer chaud. Mais ses efforts furent vains, car déjà il recevait les souffles d’une haleine putride sur sa nuque. Le Ruln n’osa pas se retourner tant il avait peur de découvrir l’atrocité qui se dressait derrière lui. Les attaches à ses chevilles lui faisaient horriblement souffrir et même s’il avait tenté de les retirer quelques moments plus tôt, de longs filets de sang continuaient de couler sur ses pieds. Oubliant la douleur qui le tenaillait, il continua de ramper jusqu’à-ce qu’une forte prise aux doigts minces et tranchants l’immobilise. Il tenta de se déprendre de la main maléfique qui lui serrait les os en frappant du pied, mais elle tenait bon, bien décidée à ne pas laisser s’enfuir le Ruln couvert d’entailles. Galadrid chercha, tout en se débattant, l’habituel couteau qu’il tenait à sa ceinture, mais il n’y trouva qu’un fourreau vide : on le lui avait confisqué.

    Lorsqu’il voulut finalement regarder le visage de son assaillant, il se réveilla. Galadrid fut alors aveuglé par une lumière vive qui lui brûla la rétine. C’était comme si soudainement, l’éclat du soleil avait transpercé les murets de pierres pour terrasser les ténèbres du tunnel. Il était toujours sur le sol, un sol poli et froid, la même noirceur maintenant traversée de barres lumineuses. Galadrid se redressa tant bien que mal et se frotta les yeux toujours engourdis. Quel était ce rêve ? Ça il se le demandait, car maintenant ses pieds étaient libres et aucune goutte de sang ne les souillait, comme si les blessures dont il avait souffert s’étaient volatilisées. Pris de confusion, il s’avança vers la source de la lumière et comprit.

    Il ferma les doigts sur les barreaux de la prison, contemplant le lieu où il venait de se réveiller de l’étrange cauchemar.  Le Ruln se trouvait dans la cellule d’un cachot où une unique lampe pendait au plafond. Les murs étaient glauques et tapissés de petits tapis moussus, ce qui rendait l’endroit sinistre. L’attention du prisonnier fut portée sur une table bancale à la gauche d’une autre cellule devant lui, où jonchait un squelette de forme singulière. Il s’y tenait un coffre de bois, scellé par un cadenas de cuivre. Contiendrait-elle la clef de la sortie ?

    Bien décidé à ne pas moisir derrière ces barreaux, Galadrid tira, poussa, frappa sur la serrure qui le retenait captif, mais elle ne broncha pas. Il se laissa tomber sur le sol dans un soupir de découragement, et s’adossa contre la porte. Maintenant que ses yeux étaient habitués au noir d’encre, il observa les murs qui l’entouraient, et laissa échapper un cri de surprise qui se perdit dans les couloirs. Ils étaient tous martelés de grands dards tranchants comme des rasoirs et acérés comme des lances. Sur certains d’eux étaient plantés des crânes de tous genres, et des ossements perforés décoraient la pièce horrifiante. On aurait dit qu’un terrible massacre s’était déroulé ici, dans cette cellule, et Galadrid comprit aussitôt qu’il serait la prochaine victime à goûter la mort.

    Il se recula aussitôt, sans quitter des yeux l’horrible spectacle qui se déroulait sous son regard. Dégoûté, il se saisit d’un des ossements (assurément un avant-bras), et commença à le cogner contre les barreaux de métal, ce qui déclencha aussitôt un grand vacarme à travers la geôle. 

    « Sortez-moi d’ici, par tous les rois ! s’écria-t-il tout en continuant son grabuge, je ne vous ai absolument rien fait ! Que voulez-vous !? » 

    Le son de sa voix se perdit comme tout le reste dans les profondeurs des sombres couloirs. Il jura pendant des heures sur tous les dieux existants, avant de s’abandonner derechef sur le plancher glacial. Le Ruln jeta son arme de fortune avec colère contre les murs, celle-ci retournant finalement dans l’amas d’ossements verdâtres et grugés par les rongeurs. Ayant donné toute son énergie à éveiller l’attention de quelqu’un, il commença à croire qu’on ne viendrait jamais le délivrer et que dans quelques jours il rejoindrait ses compagnons de cellules.  

    Tout juste avant de sombrer dans le désespoir, des bruits de pas retentirent dans la pénombre. Galadrid se redressa aussitôt, espérant que le visiteur s’approche de sa cellule. Ne voulant pas éveiller l’attention d’une âme mauvaise, il garda son calme et ne hurla pas comme il l’avait fait quelques instants avant. Les pas se firent plus bruyants, quoique sans précipitation, et Galadrid s’agita de plus belle, jetant des regards hâtifs vers la source du bruit. Un écran noir empêchait le Ruln de voir la silhouette du venant, et il était craintif de découvrir ce qui s’y cachait, vu son dernier cauchemar. Aussitôt commença-t-il à craindre le pire qu’un étrange personnage se délogea du noir. Celui-ci était de petite stature et avait le torse nu, dévoilant un ventre généreux. Partout sur ce dernier étaient gravés des dessins et formes variées, comme si on lui avait littéralement arraché de la peau. Ses gros doigts étaient tous décorés d’anneaux trop petits, ce qui les rendaient boursouflés et rouges. Quant à son visage, il n’avait rien de pire que ce que Galadrid aurait pu imaginer. Il était sans cou et parsemé de bosses, comparable à des bulles sous sa peau et ses yeux étaient à peine perceptibles sous cet horrible masque. On aurait dit un énorme crapaud qui brûlait sous un puissant soleil.

    C’est à cet instant qu’il comprit qu’il aurait à faire à un Gaag, ces êtres sournois vivant dans les contrées à l’est des montagnes en bordure de Rulìn.

    « Bonjour et bienvenue, Galadrid famille de Gìlan, dans la cellule du donjon sous la citadelle de Rulìn, s’exclama-t-il du trou sans dentition qu’il portait en guise de bouche.  On me dénomme le Meneur, parce que je mène les gens vers la sortie. »

    « Oui, et je vous conseille de me la montrer sur-le-champ ! »

    Galadrid s’était maintenant collé contre les barreaux et le pointait vivement du doigt, faisant passer son bras entre les barres de fer.

    « Pas de précipitation, maître Ruln. Si vous souhaitez sortir d’ici, vous devrez m’écouter attentivement. La prophétie sur les élus, comme vous l’avez entendu de la voix de Vilynas, guilde d’Esmaër, n’était pas entièrement vraie. Elle mettait en scène quatre valeureux guerriers choisis par le roi de Rulìn, traversant maintes épreuves afin de se tailler une place vers le chemin qui mène à la gloire sans limite. Vous avez été choisi parmi d’innombrables voyageurs, mercenaires, gardes et autres afin d’être l’un d’eux, parce que nous avons vu en vous le profil parfait pour accomplir cette quête, malgré votre vie sans histoire. Si vous sortez d’ici vivant, alors nous verrons que nous ne nous sommes pas trompé sur votre cas. Si vous échouez, alors tout s’arrêtera ici, et personne n’entendra plus jamais parler de vous. Tout cela peut vous semblez prompt, mais j’ai d’autres concurrents à tester aujourd’hui. »

    Le prisonnier se passa nerveusement la main dans les cheveux en observant d’un air absent la salle derrière lui. Il s’accroupit, se calant la tête dans les genoux.

    « C’est un assassinat, murmura-t-il tout en ne lâchant pas le sol des yeux, rien qu’un massacre fondé sur des vieux dires…Pourquoi moi, je n’y comprend rien… »

    Un rictus se dessina sur le visage ravagé du Meneur, tandis qu’il s’avançait vers le petit coffre que Galadrid avait vu à son réveil. Il le passa entre les barreaux, devant le Ruln, et y posa sur le dessus une minuscule clef, qui pouvait assurément entrer dans l’encoche du cadenas de cuivre. Aussitôt, il repartit d’où il était apparu et déclara :

    « Votre première épreuve. Je vous retrouverai à la seconde, si vous n’échouez pas. »

    Et un long ricanement s’échappa des ténèbres, tandis que sa silhouette corpulente disparaissait totalement. Galadrid se retrouva seul une nouvelle fois, complètement seul. Il se questionnait surtout sur la raison de son emprisonnement, ces épreuves, ce monstre qui venait de lui adresser la parole … Tout cela n’avait aucun sens.

    Il rampa vers le coffre que le Gaag venait d’insérer dans sa cellule.

    « Autant mourir en essayant de retrouver la lumière, pensa-t-il. » 

    Il prit la clef entre ses doigts, et la contempla un moment. Sa tête état faite en crâne, ce qui le rendit mal à l’aise aussitôt. Était-ce un message lui indiquant de ne pas l’insérer dans le cadenas, ou simplement un moyen pour le faire mourir de faim ?

    « Eh bien je ne resterai pas là à ne rien faire pour le savoir. »

    Il entra les dents de la clef squelettique dans le métal du cadenas et la laissa là un moment, le temps de prendre une grande respiration et de réfléchir deux fois avant d’accomplir son action. Galadrid la tourna finalement dans la serrure, et il eut alors un violent déclic. Le bout de cuivre explosa littéralement, ouvrant du même coup le coffret. Il s’en cracha une épaisse fumée noire qui surplomba momentanément la salle. Galadrid avait eut l’heureux réflexe de se tenir loin du coffre, se bouchant le nez pour ne pas inhaler la nuée ombrageuse. Aussitôt que le nuage fut évaporé, le Ruln s’avança de nouveau vers la boîte de bois et en examina le contenu. Au-dessus du tout, il y avait un morceau de parchemin habilement roulé et lié par un ruban noir. En s’en saisissant, il vit au fond une simple pierre, taillée en rond parfait. Galadrid la regarda un instant, avant de la prendre avec précaution et de la fourrer dans sa poche. Il détacha le ruban, et lu la lettre, rédigée d’une main rapide et sévère :

     

    Louange à votre courage pour avoir ouvert le coffret de votre première épreuve, et avoir survécu au gaz impardonnable. Si je vous avais révélé l’effet de ce poison au début de notre entretien, je crois que vous serriez resté dans votre cage à mourir graduellement, comme une fleur sans soleil. Quoi qu’il en soit, le contenu en valait la peine, guerrier Ruln. Ce que vous voyez dans ce coffre est une pierre bien plus précieuse qu’elle n’en a l’air. Elle permet de vous faire découvrir les prochaines pierres qui vous seront utiles afin de terminer votre épreuve. Chacune d’elle actionnera un mécanisme qui vous rapprochera de l’ouverture de la serrure devant vous, celle qui vous retient prisonnier. Pour cette épreuve, vous devrez user de votre logique et de votre concentration afin de ne pas céder à la panique et d’ainsi quitter ce lieu.

    Simple remarque : le gaz qui s’est échappé du coffret a enclenché la fermeture des murs à pointes tout autour de vous. Comme vous le voyez sûrement, le plancher est divisé en carreaux orange et noir. Si vous lisez ceci, c’est que vous vous trouvez sur l’un des pavés orangés. La simple pression de votre pied sur un carré noir vous serait fatale.     

    Je vous laisse maintenant avec cette citation que j’apprécie grandement, puisse-t-elle vous éclairer en cet endroit : « Lequel malheureux sait observer de par la lumière trouvera ». 

    Avec mes meilleurs intentions,

     

    Le Meneur.

     

    Galadrid lut, et relut la lettre du Gaag plusieurs fois, mais elle ne semblait pas apte à entrer dans son esprit. Les mots étaient trop durs, trop rapides, difficiles à comprendre. Il sentit alors que tout ceci n’était pas un simple jeu, avec des épreuves grotesques où il faut traverser quelques obstacles, mais véritablement un test de mort. Il parcourut la pièce du regard, et il vit aussitôt les traits qui parcouraient le sol, le divisant en carreaux orangés et noirs. Comme l’avait dit le Meneur, il se trouvait sur un carré orange, et j’y resterai, pensa-t-il.

    « Courage, épreuves, gaz, murs à pointes … Vous devrez user de votre logique et de votre concentration afin de ne pas céder à la panique et de quitter ce lieu …  Lequel malheureux sait observer de par la lumière trouvera… Oui, tout ceci est une énigme. Mais que signifie-elle ? »

    Il sortit alors de sa poche la pierre qu’il avait retirer du coffre, et l’observa attentivement. Il avait beau la tournoyer dans tous les sens, elle ne semblait pas disposée à lui donner un éventuel indice. Ne trouvant définitivement pas de solution, Galadrid s’adossa contre les barreaux de la prison, prenant soin de ne pas toucher le sol noir. Soupirant, il regarda autour de lui à la recherche d’une possible information que le Meneur aurait laissée, mais hélas, en vain. Perdu dans ses pensées, il se rappela de sa maisonnette à Rulìn, où brûlait toujours sur le feu sa bouilloire à thé. Peut-être quelqu’un était-il venu s’occuper de sa demeure ? Ou encore, était-elle rasée par les gardes afin de ne plus laisser d’indices sur l’existence de Galadrid ? Quoi qu’il en soit, celui-ci venait de s’apaiser, tête sur les barres de fer, repensant une dernière fois à sa vaisselle perdue.

    Il se réveilla en sursaut, quelques minutes plus tard, en se rendant compte que tout ceci n’était pas un rêve. Il fut ébloui par l’éclat de la lampe au plafond, tant il n’y était pas habitué, et avec une main, il se protégea des assailles de la lumière vive. C’est alors qu’il vu quelque chose briller dans la pierre qu’il tenait toujours. Galadrid la regarda avec espoir, mais celle-ci avait perdue toute brillance d’un coup. Il se remémora les mots du Gaag :  Lequel malheureux sait observer de par la lumière trouvera.

    Pris d’une grande excitation, il dressa le joyau devant les rayons de la lampe, et brillant de mille feux, un dessin se forma dans la roche. Il y avait là deux crânes, un de grande taille et l’autre de petite. Bien qu’il eut découvert une nouvelle piste, son enthousiasme laissa place à la confusion. Qu’est-ce que ça veut bien dire ? Cela a sûrement un lien avec les cadavres. Mais lequel ? Il considéra la pièce en se relevant, et sauta sur un autre carré orange, plus loin, frôlant de près la mort. Et si le grand crâne était de taille standard, et l’autre, celui d’un enfant ou d’une race étrangère ? C’est ça, je dois trouver une tête de petite taille.

    Sautillant en évitant le sol noir, Galadrid chercha dans l’amas d’ossements (longuement mais avec espoir) la clef pour sortir de l’endroit maudit. Se faufilant dans les crânes et les bras blancs, il finit par trouver ce qu’il cherchait désespérément. Incéré dans une cage thoracique, le Ruln vit derrière les fines côtes un crâne de l’envergure de deux poings. Il s’en saisit, cherchant quoi que ce soit susceptible d’attirer son attention, mais il semblait parfaitement normal, malgré sa taille concise. Il étudia, même parmi les dessins que pouvaient former les craquements, mais il ne trouva point. C’est alors qu’il remarqua les dimensions des deux orbites. Celui de droite était de forme ovale et imprécise, tandis que l’autre était rond. Qu’est-ce que cela veut bien dire ? Il mit la main dans sa poche, et en sortit la pierre du coffret, où les deux crânes étaient maintenant absents. Mais bien sûr ! Il compara la grandeur de la cavité à celle du joyau magique, et comprit aussitôt. Il incrusta cette dernière dans le trou noir de l’orbite qui s’installa parfaitement.

    Subitement, comme si un éclair l’avait frappé, Galadrid lâcha aussitôt le crâne sur le sol lorsqu’il vit les murs se rapprocher de lui, menaçant de le transpercer. Il avait les deux pieds posés sur une dalle noire.

    Les mâchoires du petit crâne s’ouvrirent dans un brusque claquement …  

     


  • Commentaires

    1
    Spox
    Samedi 29 Mai 2010 à 22:20
    Du suspens !!!

    Bon, que dire... Ah, oui, j'ai eut dû mal de différencier entre le rêve et la réalité du début de chapitre. J'ai relevé également deux répétitions au début, et par contre, aucune faute.

    Du suspens, de l'énigme, c'est tout ce que j'aime. Les descriptions sont géniale. Le Meneur fait vraiment peur ! Tes figures de style et autres sont super bien trouvé.

    Donc, en gros, je veux la suite !
    2
    Edorak Profil de Edorak
    Samedi 29 Mai 2010 à 22:22
    Merci beaucoup, encore une fois. :D
    3
    Kit
    Dimanche 30 Mai 2010 à 00:11
    Tout simplement époustouflant !
    L'histoire est excellente, aucune faute à part à un moment ou tu as mit "Or donc" qui ne veut absolument rien dire ^^
    Sinon rien à redire d'autre à part que tu devrais le publier parce que c'est du grand art.
    Je suis vraiment ébahi devant ton style d'écriture !
    Bravo à toi et bonne continuation =)
    4
    Edorak Profil de Edorak
    Dimanche 30 Mai 2010 à 02:56
    Wah, merci beaucoup. Ça fait plaisir d'entre ça. :)



    Mais détrompe-toi, " Or Donc " est une expression que plusieurs écrivains utilisent.
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